Romains et Galates

ÉPÎTRES AUX ROMAINS ET AUX GALATES

Introduction

Les épîtres aux Galates et aux Romains doivent être traitées ensemble, car elles s’attaquent au même problème, l’une comme la première réaction que provoque une situation concrète, l’autre comme un exposé plus calme et plus complet qui met en ordre les idées suscitées par la polémique. Cette étroite parenté des deux épîtres est une des raisons majeures qui déconseillent de reporter la composition de Ga aux premières années de Paul, avant même le concile de Jérusalem, ainsi que certains l’ont proposé. Il a paru à ceux-ci que la deuxième visite de Paul à Jérusalem, racontée en Ga 2.1-10, devait être la deuxième visite mentionnée par les Actes, Ac 11.30 ; 12.25, non la troisième, Ac 15.2-30 (qui diffère sur plusieurs points du récit de Paul). Celui-ci paraissant d’autre part ignorer le Décret de Ac 15.20, 29 (cf. Ga 2.6), sa lettre devait être antérieure au concile de Jérusalem, et il suffisait pour cela d’admettre que les « Galates » fussent les Lycaoniens et les Pisidiens évangélisés durant le premier voyage missionnaire, l’aller et le retour de Paul expliquant la double visite que paraît supposer Ga 4.13.

Mais tout cela est peu fondé. S’il est vrai que la Lycaonie et la Pisidie ont été politiquement rattachées dès 36-25 av. J.-C. à la Galatie, le langage courant du Ier siècle de notre ère n’en a pas moins continué à réserver cette dernière dénomination à la Galatie proprement dite, sise plus au nord, et il paraît en particulier difficile que leurs habitants aient pu être appelés « Galates », Ga 3.1. D’ailleurs cette supposition difficile n’est nullement exigée. La deuxième visite de Ga 2.1-10 s’identifie fort bien avec la troisième de Ac 15 – avec laquelle elle a de si fortes ressemblances – beaucoup mieux qu’avec la deuxième, Ac 11.30 ; 12.25, si peu importante que Paul a pu la passer sous silence dans son argumentation de Ga, à moins encore qu’elle n’ait pas eu lieu et résulte simplement d’un doublet littéraire de saint Luc (cf. les Actes, Introduction et Ac 11.30). Ainsi l’épître aux Galates est bien postérieure au concile de Jérusalem. Si Paul n’y parle pas du Décret, c’est peut-être que celui-ci est lui-même d’une époque plus tardive (cf. Ac 15.1), circonstance qui expliquerait aussi l’attitude de Pierre blâmée en Ga 2.11-14. Les destinataires sont bien les habitants de la région « galate » parcourue par Paul lors des deuxième et troisième voyages, Ac 16.6 ; 18.23. Et la lettre a pu être écrite d’Éphèse, ou même de Macédoine, entre 54 et 55.

L’épître aux Romains a dû la suivre de près. Paul est à Corinthe (hiver 55-56), sur le point de partir pour Jérusalem d’où il espère se rendre à Rome et de là en Espagne, Rm 15.22-32 ; cf. 1 Co 16.3-6 ; Ac 19.21 ; 20.3. Mais il n’a pas fondé l’Église de Rome et n’est que médiocrement informé sur son compte, peut-être par des gens comme Aquilas, Ac 18.2 ; les quelques allusions de son épître laissent seulement entrevoir une communauté où les convertis du judaïsme et du paganisme risquent de se mésestimer. Aussi juge-t-il à propos, pour préparer sa venue, d’envoyer par sa patronne Phébée, Rm 16.1, une lettre où il expose sa solution du problème judaïsme et christianisme, telle qu’elle vient de mûrir sous le coup de la crise galate. Pour ce faire, il reprend les idées de Ga, mais d’une façon plus ordonnée et nuancée. Autant Ga représente un cri jailli du cœur où l’apologie personnelle, Ga 1.11 – 2.21, se juxtapose à l’argumentation doctrinale, Ga 4.1 – 4.31, et aux avertissements véhéments, Ga 5.1 – 6.18, autant Rm offre un développement continu où quelques grandes sections s’enchaînent harmonieusement à l’aide de thèmes d’abord annoncés et ensuite repris.

Pas plus que des épîtres aux Corinthiens et aux Galates, l’authenticité de l’épître aux Romains n’est sérieusement discutée par personne. Tout au plus a-t-on pu se demander si les ch. 15 et 16 ne lui ont pas été ajoutés après coup. Ce dernier en particulier, avec ses salutations si nombreuses, aurait été primitivement un billet destiné à l’Église d’Éphèse. Mais le chap. 15, en dépit de certains manuscrits, ne peut être détaché du corps de l’épître ; et ceux qui y maintiennent également le chap. 16 font observer que Paul n’adresse jamais de salutations à des individus appartenant aux communautés dans lesquelles il a travaillé. Cela aurait provoqué des jalousies s’il en avait traité différemment certains, dans un groupe dont tous les membres lui étaient connus. La liste de noms du chap. 16 indique qu’il était adressé à une Église que Paul n’avait pas fondée – ce qui exclut Éphèse comme destinataire. Quant à la doxologie Rm 16.25-27, les caractères particuliers de son style ne constituent pas un motif suffisant pour rejeter son authenticité, mais peuvent suggérer une date plus tardive.

Tandis que les épîtres aux Corinthiens opposaient le Christ Sagesse de Dieu à la vaine sagesse du monde, les épîtres aux Galates et aux Romains opposent le Christ Justice de Dieu à la justice que les hommes prétendraient mériter par leurs propres efforts. Là le danger venait de l’esprit grec avec sa confiance orgueilleuse dans la raison ; ici il vient de l’esprit juif, avec sa confiance orgueilleuse en la Loi. Des judaïsants sont venus dire aux fidèles de Galatie qu’ils ne pouvaient être sauvés s’ils ne pratiquaient la circoncision, se plaçant ainsi sous le joug de la Loi, Ga 5.2s. Paul s’oppose de toutes ses forces à ce retour en arrière qui rendrait vaine l’œuvre du Christ, Ga 5.4. Sans nier la valeur de l’économie ancienne, il lui assigne ses justes limites d’étape provisoire dans l’ensemble du plan de salut, Ga 3.23-25. La Loi de Moïse, de soi bonne et sainte, Rm 7.12, a fait connaître à l’homme la volonté de Dieu, mais sans lui donner la force intérieure de l’accomplir ; aussi n’a-t-elle abouti qu’à lui faire prendre conscience de son péché et du besoin qu’il a du secours de Dieu, Ga 3.19-22 ; Rm 3.20 ; 7.7-13. Or ce secours de pure grâce, promis jadis à Abraham avant le don de la Loi, Ga 3.16-18 ; Rm 4, vient d’être accordé en Jésus Christ : sa mort et sa résurrection ont opéré la destruction de l’humanité ancienne, viciée par le péché d’Adam, et la recréation d’une humanité nouvelle dont il est le prototype, Rm 5.12-21. Rattaché au Christ par la foi et animé de son Esprit, l’homme reçoit désormais gratuitement la vraie justice et peut vivre selon la volonté divine, Rm 8.1-4. Sa foi doit bien s’épanouir dans des œuvres bonnes ; mais ces œuvres accomplies par la force de l’Esprit, Ga 5.22-25 ; Rm 8.5-13, ne sont plus ces œuvres de la Loi dans lesquelles le Juif mettait sa confiance. Elles sont accessibles à tous ceux qui croient, fussent-ils venus du paganisme, Ga 3.6-9, 14 ; Rm 4.11. L’économie mosaïque, qui a eu sa valeur d’étape préparatoire, est donc désormais révolue. Les Juifs qui prétendent s’y maintenir se mettent en dehors du vrai salut. Dieu a permis leur aveuglement pour assurer l’accès des païens. Ils ne sauraient cependant déchoir pour toujours de leur élection première, car Dieu est fidèle : quelques-uns d’entre eux, le « petit reste » annoncé par les prophètes, ont cru ; les autres se convertiront un jour, Rm 9-11. Dès maintenant les fidèles du Christ, qu’ils soient d’origine juive ou païenne, doivent ne plus faire qu’un dans la charité et le support mutuel, Rm 12.1 – 15.13. Telles sont les grandes perspectives qui, esquissées dans Ga, sont amplifiées dans Rm et nous valent d’admirables développements sur le passé pécheur de toute l’humanité, Rm 1.18–3.20, et la lutte intérieure en chaque homme, Rm 7.14-25, la gratuité du salut, Rm 3.24 et passim, l’efficacité de la mort et de la résurrection du Christ, Rm 4.24s ; 5.6-11, participées par la foi et le baptême, Ga 3.26s ; Rm 6.3-11, l’appel de tous les hommes à devenir des enfants de Dieu, Ga 4.1-7 ; Rm 8.14-17, l’amour plein de sagesse du Dieu juste et fidèle qui dirige tout le plan du salut avec ses différentes étapes, Rm 3.21-26 ; 8.31-39. Les perspectives eschatologiques demeurent : nous sommes sauvés en espérance, Rm 5.1-11 ; 8.24 ; mais, comme dans les épîtres aux Corinthiens, l’accent est mis sur la réalité du salut déjà commencé : l’Esprit de la Promesse est déjà possédé à titre de prémices, Rm 8.23, dès maintenant le chrétien vit dans le Christ, Rm 6.11, et le Christ vit en lui, Ga 2.20.

L’épître aux Romains représente ainsi l’une des plus belles synthèses de la doctrine paulinienne. Ce n’est pourtant pas une synthèse complète, ce n’est pas toute la doctrine. L’intérêt de premier plan que lui a valu la controverse luthérienne serait dommageable s’il faisait négliger de la compléter par les autres épîtres en l’intégrant dans une synthèse plus vaste.